Ce qu'il ressort de cours de chant pendant le confinement


Depuis le début de la crise Coronavirus, je parle beaucoup avec les élèves chanteurs de leurs peurs, de leurs frustrations, de leur fatigue, dans un contexte personnel ou professionnel pas toujours évident. 

Si la charge psychologique de mon métier a toujours été très importante (et c’est une des choses que je trouve passionnantes), j’essaie au cours de ces discussions de soulager, encourager, accompagner, mais aussi faire réfléchir, car l’apprentissage du chant est une véritable découverte de soi.

Ces discussions m’ont donné envie de partager avec vous quelques observations ; loin de moi l’idée de vouloir ajouter à tout prix mon grain de sel à la cacophonie ambiante, j’espère simplement que cela vous aidera à creuser votre propre réflexion, comme cela a été le cas pour certains élèves.

 

  • DU CONFINEMENT ET DES HABITUDES

De nombreuses habitudes sociales ont été modifiées avec le confinement. Certains élèves m’ont dit que leurs cours de chant sont actuellement comme une « fenêtre sur l’extérieur », un moyen de limiter la sensation d’enfermement. 

Ceux qui sont seuls en confinement prennent le cours comme un moment précieux qui leur permet d’avoir un échange humain. Au contraire, pour d’autres qui vivent avec leur famille H24, c’est un moyen de s’isoler des sollicitations permanentes, et de prendre du temps pour eux.

 

Les cours sont aussi l’occasion d’observer ce qui peut sembler une contradiction : certains de mes élèves doivent repenser leur boulot pro tout en gérant leurs enfants en bas âge, et le vivent bien ; d’autres sont confinés à la campagne sans contrainte parentale ou bouleversement professionnel particulier, et le vivent mal. La majorité des gens que je connais sont en bonne santé, mais les personnes ayant des problèmes de santé ne sont pas forcément les plus inquiètes.

 

De même, certains élèves vivent le confinement comme une "privation de liberté". Néanmoins, notre vie en société comprend déjà des limites à notre circulation : on ne va pas se promener dans le jardin des gens qu’on ne connait pas, on ne roule pas sur la voie de gauche sur la route, on n’installe pas son salon sur la place municipale. Qui dirait que ce sont des limites à notre liberté ? Ce genre de règle permet aussi de mieux vivre ensemble.

Ne pas pouvoir sortir dans la rue parce-qu’on est un noir ou une femme, c’est une privation de liberté ; rester chez soi pendant 2 mois pour éviter que davantage de personnes ne meurent dans les hôpitaux bondés, c’est aussi un acte civique, ou au pire… un bouleversement de nos habitudes. 

Car nos habitudes nous rassurent, et nous les considérons comme dues. 

 

  • DES COURS EN LIGNE ET DES HABITUDES

 Les cours dans les écoles de musique sont également perturbés par le confinement. Il est évident que les cours collectifs sont plus difficiles à adapter en ligne, et les profs doivent faire preuve de créativité pour favoriser une continuité dans l’éducation : c’est très chronophage car nous devons adapter nos cours, apprendre de nouveaux outils, créer de nouvelles activités, etc. 

Certains chanteurs vivent mal cette situation parce-que certaines activités ne sont plus possibles, comme les répétitions en groupe, ce qui pénalise surtout mes élèves en école de formation professionnelle.

D’un autre côté, je considère qu’un professionnel de la musique est une personne qui doit s’adapter en permanence à l’imprévu : le concert est décalé, la sono ne fonctionne pas bien, un musicien est malade, le label ne signera finalement pas, le financement de ce projet est remis en question, etc.

La situation actuelle est donc une bonne occasion d’apprendre à adapter notre planning et nos objectifs aux circonstances. Si le travail de groupe n’est pas possible maintenant, pourquoi ne pas se focaliser davantage sur la technique vocale ou la composition par exemple ? Le travail de groupe sera toujours possible plus tard, dans d’autres circonstances.


Coopérer pour s'adapter aux circonstances...

La quasi-totalité de mes élèves en cours individuels considèrent comme une chance le fait que de pouvoir continuer à travailler leur voix via les cours en ligne ; ceux ayant plus de temps libre ont même parfois décidé de "mettre le paquet", et de travailler davantage pour progresser plus.

Il est amusant de constater que certains d’entre eux sont les mêmes qui, en d’autres circonstances, auraient évité les cours en ligne parce-qu’ils « préfèrent le contact humain », parfois en n’ayant jamais testé les cours en ligne au préalable. N’est-il pas intéressant de constater comme nos convictions peuvent dépendre du contexte et de nos habitudes ?

Si je peux comprendre une forme de méfiance vis à vis de la place de l’électronique dans nos vies (mais cela ne date pas du confinement), ou le fait qu’aller dans un studio de chant en temps normal offre aussi une « sortie » et la possibilité de travailler dans un lieu privilégié, à quoi bon refuser ce qui nous permet aujourd’hui de créer du lien, de structurer nos journées, de pratiquer une activité parfois nécessaire à notre équilibre, et, ne l’oublions pas, d’atteindre nos objectifs en tant que chanteur ?

 

Pour ma part, les choses sont claires : je fais des cours en ligne depuis longtemps parce-que cela correspond bien à la pédagogie que j’utilise, que c'est un moyen de rencontrer des chanteurs de tous horizons, et que j’ai découvert avec émerveillement il y a des années que je pouvais moi-même me former avec les meilleurs dans leurs domaines, même s’ils vivent à l’autre bout de la planète. Je ne choisis pas mes formateurs selon des restrictions géographiques (choix par défaut), mais selon leurs compétences (options illimitées selon mes envies et mes besoins). Certains ont du mal à comprendre ce point de vue, le plus souvent parce-qu’ils n’ont pas l’habitude de raisonner ainsi.

 

  • DU CHANGEMENT

 On peut dégager quelque chose d’important de toutes les observations précédentes : ceux qui vivent le mieux cette période compliquée sont parfois ceux qui bénéficient de circonstances favorables, mais pas toujours ; les moins affectés sont aussi ceux qui acceptent le changement et la remise en question, de manière générale, dans leur vie.

J’ai toujours aimé le changement ; par exemple j'ai souvent déménagé, et j’ai exercé volontairement des métiers très différents. J'apprécie la remise en question et le challenge que cela implique, l'apprentissage pour développer de nouvelles compétences, le nouveau point de vue qui se dessine et vient compléter le puzzle de mes expériences précédentes. Si j’ai la chance de pouvoir continuer à exercer mon métier actuel de prof de chant, et contribuer au soutien vocal et moral de la communauté artistique, devoir changer de métier si les circonstances l’exigent ne me pose pas spécialement de problème. 

 

Vous pourriez me dire que c’est une question de tempérament. Mais ne peut-on aussi y voir l’application d’une règle de vie que nous oublions parfois, dans le confort de nos routines, à savoir : que le changement est omniprésent, et qu’il ne tient qu’à nous, le plus souvent, d’en faire un atout ? Que la routine érode notre capacité d’adaptation, et qu’un tel bouleversement peut nous permettre d’y voir plus clair dans nos priorités ?

Le changement est une partie intrinsèque de la vie ; nos convictions évoluent, notre environnement se transforme, nos enfants grandissent, des projets naissent et d’autres avortent, des métiers se développent et d’autres disparaissent… Et de même qu’il est bien plus agréable de surfer sur une vague que de se débattre contre le courant, accepter que les choses changent et focaliser son esprit sur les opportunités offertes permet de mieux vivre les difficultés. 


Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Je comprends la détresse des intermittents et des commerçants les plus fragiles, et je pense tous les jours aux malades et au personnel soignant, qui doit régler une urgence après l’autre dans de mauvaises conditions. En tant que vétérinaire, j’ai géré des urgences médicales, je comprends la difficulté physique et mentale de ce type de situation. 

Mais pour les autres, les gens qui comme vous et moi ont un peu de temps en ce moment pour fréquenter les réseaux sociaux et réfléchir au sens que l’on peut donner à tout ça, pourquoi ne pas creuser notre rapport au changement, et chercher en nous de nouvelles ressources ?

Vouloir à tout prix que les choses reviennent comme avant parce-que cela nous rassurerait ne mène nulle part, si ce n’est à se rendre compte que ce n’est pas possible, voire même pas souhaitable, et donc à nous angoisser d’une autre manière. Le coronavirus est là pour un moment, il reviendra peut-être, il aura peut-être d’autres copains virus pas très sympas, et vu les problèmes de gestion de cette crise, nous ne sommes pas au bout de nos efforts.

 

  • ET APRES ?

Et si nous utilisions la moitié de l’énergie que nous gaspillons à faire en sorte que rien ne change, pour plutôt trouver de nouvelles opportunités dans cette situation, et commencer à améliorer en profondeur ce qui mérite de l’être ? 

Si, au journal télévisé, la caissière du supermarché pleure quand le client la remercie d’être là malgré le risque de contamination, c’est peut-être parce-qu’elle a peur du virus, mais c’est aussi parce-qu’on ne l’avait jamais remerciée d’être là avant. Il aura fallu une pandémie pour qu’elle entende ce « merci ». Qu’est-ce que cela révèle de nos modes de fonctionnement ? 

Aussi étrange que cela puisse sembler aujourd'hui, après le déconfinement, et passé le probable effet rebond, il y a des chances que nous regrettions certains aspects du confinement. Selon les personnes, ce sera de voir plus nos enfants, d’avoir plus de calme dans notre quartier, de cuisiner plus, d’acheter moins ou différemment, de prendre le temps de réfléchir à nos incertitudes et nos besoins profonds, de faire davantage de musique, de bricolage ou de jardinage, etc… 

Certains élèves m’ont déjà fait part du plaisir qu’ils éprouvent à moins courir dans tous les sens (au sens propre et figuré !), et modifier leur organisation pour se recentrer. Peut-être le début de nouvelles habitudes, plus positives ?

 

La crise actuelle est donc l’occasion de certaines prises de conscience. Qu’allons-nous décider de faire avec cette nouvelle perception des choses ?

J’ai regardé ce midi la dernière vidéo de «  Et tout le monde s’en fout » (devenu « et tout le monde s’enferme » vu les circonstances - je vous conseille leur chaine, toujours très drôle et pertinente). Je partage beaucoup de leurs points de vue sur le sujet, et je vous invite à la visionner si ce n’est pas déjà fait. 

 
 

  • MUSIQUE ET RESILIENCE

Dernière réflexion : on a tous un jour écouté en boucle une chanson qui nous a permis de mieux vivre un moment difficile, de nous sentir moins seuls, d’accepter une épreuve, de trouver le courage d’aller plus loin. C’était pourtant juste une chanson. 

Autrement dit, on peut tous contribuer, par une somme de petites actions au quotidien, à une évolution bénéfique. L’être humain a une capacité d’adaptation très développée, malgré son addiction aux habitudes.

 

Je vous conseille donc de ne pas écouter pas les rabats-joies qui diront que c’est trop compliqué, ou qu’on est tous foutus, ou que l'on va retourner à l'âge de pierre si l'on modifie nos modes de vie (en particulier par rapport à la vidéo précédente).

Les habitudes étant par définition confortables (car on est en terrain connu), l'être humain a souvent l'impression qu'il devra sacrifier son confort pour toujours s'il modifie ses habitudes.

Ce déni masque souvent la peur de l'inconnu et de ne pas être capable de s’adapter (je vous renvoie à l’occasion à cet article que j’ai écrit sur la peur). 

 

A vous de trouver les leviers de changement dans vos vies, et de faire évoluer les choses à votre vitesse et selon votre sensibilité. 

Comme le dit cet adage que j’aime beaucoup : « ceux qui disent que c’est impossible ne devraient pas déranger ceux qui sont en train de le faire ».

 Je vous souhaite courage et résilience !

 


 

Ce qu'il ressort de cours de chant pendant le confinement
Diane Douet 19 avril 2020
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