TROP GAY !
Le chanteur Rob Halford, du groupe Judas Priest (crédit photo : Ralph Arvesen / CC BY)
Depuis quelques mois, des attentats dans différentes pays ont secoué brutalement nos consciences. Ces actes terribles nous attristent et nous laissent souvent démunis, car si la colère est facile, les solutions ne sont pas toujours simples à mettre en oeuvre. Les discussions peuvent alors parfois dériver sur des approches discriminatoires.
Ces évènements m’ont donné envie de publier un article sur un sujet particulier : la discrimination "ordinaire", celle croisée au quotidien dans les transports, les restaurants, ou… la salle de musique.
Parce-que la musique ne s’adresse pas seulement à nous en tant que mélomanes ou artistes, mais aussi en tant qu’êtres humains, il est malheureux de constater qu’encore régulièrement, elle est associée à des préjugés qui ont la peau dure.
QUAND ON EST TROP….
L’intolérance, la discrimination ordinaire, c’est quoi ?
C’est un commentaire homophobe, raciste, ou sexiste, glissé insidieusement dans des échanges entre musiciens. C'est un mot acerbe lâché comme si cela n’avait pas de conséquence dans une salle de concert. C’est le fait de ne pas écouter celui / celle qui parle ou de lui couper la parole en répétition parce-qu’il/elle est en minorité (cf cet article sur les répétitions avec son groupe).
Jour après jour, ce sont autant de petits comportements agressifs auxquelles on ne prête pas toujours attention, qu’on imagine peut-être capables de soulager nos frustrations personnelles de l’instant, et qui renforcent surtout notre peur de la différence.
Concernant le milieu musical professionnel, si là comme partout certains articles des médias sont utilisés pour entretenir la peur et l’intolérance, d’autres servent aussi à dénoncer des situations anormales, mais parfois passées sous silence ou banalisées. Voici quelques exemples d'articles qui m'ont intéressée :
- Quand on est trop homosexuel(le) : une réflexion sur l’homophobie dans le milieu metal
- Quand on est trop noir(e) : une histoire de « racisme ordinaire » dans le milieu de la musique classique
- Quand on est trop rond(e) : des critiques masculins jugent une chanteuse lyrique sur son physique, Adele se fait critiquer sur son poids
- Quand on est trop vieux / vieille : Yoko Ono et Madonna parlent des problèmes de jeunisme récurrents dans le milieu de la musique actuelle
- Quand on est trop femme : un article sur la difficulté pour les femmes de se faire programmer sur les gros festivals, et l’omniprésence du harcèlement sexuel
Cette liste n'est hélas pas exhaustive, beaucoup d'autres exemples de discrimination existent.
Mais si on résume : on est toujours trop noir ou trop blanc, trop musulman ou trop athée, trop homosexuel ou trop peu sexy, trop femme ou trop vieux, trop gros ou trop handicapé, trop n’importe quoi ou trop le contraire, quand on est jugé par le regard de l’intolérance ou de la discrimination.
TROP VIEILLE !
La chanteuse Madonna (crédit photo : MTV International / CC BY)
LA DISCRIMINATION, UNE MAUVAISE... HABITUDE
Si les plus aigris s’abritent parfois derrière un prétexte de liberté d’expression pour justifier leur comportement agressif, d’autres le font simplement... par habitude. Une personne habituée à utiliser des expressions telles que « c’est pas de la musique pour les pédés » ou encore « la chanteuse, elle est bonasse » depuis des années risque de mal prendre une observation faite par une personne un peu plus courageuse que les autres, et qui va tenter de lui expliquer que les homosexuels ne sont pas des sous-hommes, ou que la chanteuse en a ras-le-bol qu’on la réduise à un objet sexuel.
Nous sommes bien sûr largement conditionnés par notre environnement quotidien et par nos a-priori culturels.
Doit-on forcément être jeune quand on fait carrière dans la musique ?
Doit-on forcément être machiste quand on joue du rock ?
Doit-on forcément être sexy quand on est musicienne ?
Posées ainsi, ces questions semblent plus incongrues, et pourtant nous recevons en permanence des messages de notre environnement nous incitant à accepter ce genre de préjugés, ou à les considérer comme des injustices inévitables.
Le danger, au final, est de banaliser des comportements ou des remarques intolérantes.
MON QUOTIDIEN
En tant que professeur de chant, j’ai des élèves de tous âges, des hommes et des femmes, des personnes de tous milieux socio-culturels, de toutes couleurs de peau, des handicapés, des homosexuels ; je fais également partie d'un institut international des professeurs de chant qui a des membres sur tous les continents, sans tenir compte de leur nationalité ou de leur religion.
Je n’imagine même pas qu’il puisse en être autrement, mais parfois certains élèves me rapportent des actes de discrimination qu’ils ont vécus de leur côté, que ce soit en milieu amateur ou professionnel ; pour ne citer qu'un exemple, vous pouvez relire cette interview d'une élève dans la newsletter sur le handicap physique.
Si l'environnement peut empêcher une personne de faire ce qu'elle souhaite, on peut même parfois observer de l'auto-censure. Par exemple, j'ai entendu des chanteurs dire : "je suis trop vieux / vieille pour monter sur scène". Certains chanteurs se freinent dans leur apprentissage ou leurs expériences parce-qu'ils appréhendent une réaction de rejet potentielle.
TROP RONDE !
La chanteuse Adele (crédit photo : Christopher Macsurak / CC BY)
En tant que chanteuse, entre autres dans le milieu du rock, j’ai subi comme beaucoup de femmes un nombre important de remarques ou de comportements déplacés. On a parfois voulu me faire croire que je devais trouver flatteuses des remarques ouvertement sexistes (sous-entendu : « tu devrais être contente qu’on s’intéresse à toi ». Quelle bonne blague !). J’ai bien sûr connu des musiciens qui me coupaient la parole automatiquement et se comportaient avec condescendance quand j’étais la seule femme présente.
L’effet de groupe joue aussi un rôle : on connait tous des gens insupportables en groupe et bien plus agréables pris individuellement.
Les réactions à adopter dans ce genre de situation dépendent du contexte et des personnes : parfois expliquer, gentiment ou dans certains cas très fermement, assainit la situation, parfois cela est inutile, et il vaut mieux aller travailler avec d’autres.
Heureusement, j’ai aussi rencontré des gens qui m’ont montré l’exemple inverse : des professionnels qui m’ont encouragée dans le milieu de la musique pour mes qualités professionnelles, des ingénieurs du sons qui m’ont laissé les manettes en studio d’enregistrement alors que le milieu de la production n’est pas réputé très ouvert aux femmes (voir cet article), etc…
CONCLUSION : mon quotidien est probablement très similaire au vôtre : il y a du bon et du mauvais. Cela signifie donc que l’on peut choisir de renforcer l’un ou l’autre.
CE QUE L’ON PEUT TOUS FAIRE
Accepter des actes discriminants dans le milieu de la musique, c’est un peu tuer le musicien qui grandit en chacun de nous, et ancrer l’intolérance au quotidien. Voici quelques exemples d'actions que nous pouvons tous mettre en oeuvre :
* Si vous souhaitez apprendre un instrument ou vous produire sur scène et que vous avez 80 ans ou un physique ingrat, faites-le. Si l’on vous demande de faire de la provocation sexuelle pour attirer de l’audience et que vous ne souhaitez pas le faire, ne le faites pas. Cela va sans dire, mais cela va mieux en le disant.
* Si des personnes dans votre entourage musical vous font des remarques désagréables sur votre couleur de peau, votre genre, ou votre orientation sexuelle, n’hésitez pas à les quitter pour travailler avec des gens qui vous méritent. Si vous êtes harcelé et coincé par votre entourage professionnel, ne restez pas seul, trouvez les gens spécialisés à qui parler et qui pourront vous aider.
TROP MUSULMAN !
Le chanteur Zayn Malik, du groupe One Direction (crédit photo : First Access Entertainment / CC BY-SA)
* De temps à autres, prenez un peu de recul sur votre propre comportement. Personne n'est parfait, mais on peut tous faire évoluer notre perception des choses. Avez-vous été interpellé(e) par une des photos de cet article ? Faites quelques recherches, lisez sur le sujet, prenez conscience des réalités de votre environnement. Parlez avec les personnes de votre entourage pour connaître leur perception et leur vécu.
* Défendez ceux qui en ont besoin quand l’occasion se présente. Ne jouez pas le jeu de ceux qui harcèlent, par peur de leur réaction : vous pourriez être surpris de voir comme beaucoup de harceleurs se dégonflent vite sans soutien extérieur.
* Si une personne de votre entourage s'auto-censure, encouragez-la à vivre ce qu'elle a envie de vivre. Aidez-la à combattre ses propres préjugés sur elle-même, soutenez-la dans les moments difficiles. Rappelez-lui qu'elle deviendra un modèle pour d'autres personnes qui aimeraient en faire autant.
* Le refus de l’intolérance n’est pas une cause perdue si chacun y met un peu du sien, la discrimination n'est pas une chose banale et sans conséquence : la souffrance des gens qui en font l’objet est bien réelle. Faire la différence au quotidien demande du courage, mais c’est en votre pouvoir.
ET AU-DELÀ DE LA MUSIQUE…
« Dieu a dit : il y aura des hommes blancs, il y aura des hommes noirs, il y aura des hommes grands, il y aura des hommes petits, il y aura des hommes beaux et il y aura des hommes moches, et tous seront égaux ; mais ça sera pas facile… Et puis il a ajouté : il y en aura même qui seront noirs, petits et moches et pour eux, ce sera très dur ! » (Coluche)
Pour terminer sur une note plus générale, faisons un geste pour la planète : offrons un gentil commentaire à notre voisin dans le bus (celui qui est noir, musulman, vieux et gros). Il sera peut-être tellement surpris qu’il risque de nous prendre pour un cinglé et de fuir, mais bizarrement cela fera tout de même du bien à tout le monde, les Beatles ont même écrit une chanson sur le sujet : "All you need is love"...