En matière de chant, la peur fait souvent partie du jeu. Même les chanteurs professionnels de haut niveau ont, à un moment ou un autre, peur de quelque chose (voici un article en anglais sur Adele qui explique sa peur parfois maladive de la scène).
Avec mes élèves, au quotidien, nous apprenons beaucoup sur la peur.
Ceux qui viennent me voir en cours peuvent avoir peur de n’avoir aucune aptitude, de faire des couacs, de ne pas progresser, de ce que je pense d'eux.
Ceux qui font les stages-concerts avec moi peuvent avoir peur de chanter devant les autres, d’oublier leur texte, de s’investir dans l’émotionnel d’une chanson, de ne pas plaire au public.
Ceux qui font du coaching avec moi peuvent avoir peur de remettre en question leur manière d’utiliser la scène, de réaliser la quantité de travail nécessaire, de reconnaître les points faibles du groupe.
Ceux qui ne viennent PAS me voir peuvent avoir peur de changer leur vision d’eux-mêmes, d’avouer qu’ils ont besoin d’aide, de reconnaître que le chant compte pour eux.
La première fois fait souvent peur !
Ceci dit, comment serait-il possible de ne pas avoir peur, alors que nous travaillons avec notre voix, l’outil le plus intime qui soit, celui avec lequel nous allons exprimer des émotions et communiquer avec un auditoire ? Comment ne pas avoir peur face au challenge de se dépasser soi-même et d’oser exprimer qui nous sommes, face à la responsabilité de faire passer un bon moment au public quel que soit notre état de forme du jour ?
Il parait que l’actrice Sarah Bernhardt, à qui une jeune comédienne avait déclaré qu'elle avait déjà joué sur scène plusieurs fois et qu'elle n'avait même plus de trac, lui aurait alors répondu : « Ne vous en faites pas, le trac, cela viendra avec le talent ! ».
LA PEUR, ÇA SERT À QUOI ?
La peur est un sentiment qui nous a permis de survivre depuis les temps les plus anciens. Elle nous avertit lorsqu’un danger nous menace ; c’est grâce à elle que nos ancêtres ont compris qu’il valait mieux éviter les tigres à dents de sabre, c’est grâce à elle que nous faisons attention à ne pas tomber dans le ravin lors d’une randonnée en montagne.
Parfois le pronostic vital n’est pas en jeu mais nous avons peur malgré tout. On a souvent peur du changement, les habitudes peuvent sembler plus rassurantes : "que se passera-t-il si je change de travail / si j’avoue à cette personne que je l’aime ?" En général, nous n’avons pas peur de ce qui n’a pas de conséquence importante pour nous. Notre peur signifie souvent : ce qui va se passer, si je franchis cette étape, compte pour moi.
« Courage… fuyons ! »
La peur, pour un musicien, est donc parfois le signal que quelque chose d’important pourrait se produire, une expérience dont il risque de sortir transformé.
La peur nous indique là où il y a quelque chose à travailler, là où réside une marge de progrès possible, là où se cache une clé vers plus d’expressivité, de sincérité, de beauté. Le trac peut nous donner des informations très intéressantes sur ce que nous devons travailler en tant que musicien.
La peur nous indique une zone de résistance intérieure derrière laquelle se cache quelque chose de différent, quelque chose de nous-même que nous ne saisissons pas encore très bien. La peur nous indique la direction à suivre pour mieux communiquer avec les autres, et avec nous-mêmes.
Le vrai danger réside dans le fait de laisser la peur nous empêcher d’expérimenter des choses dont nous pourrions sortir grandi.
C’est le chanteur qui refuse d’aller voir un professeur compétent par peur de voir les choses en face, alors qu’il sait intérieurement qu’il stagne ou qu’il abîme sa voix.
C’est l’élève qui ne veut pas chanter en public, parce qu’il se dit que les gens vont le trouver mauvais, alors qu’il en en rêve depuis longtemps.
C’est le parent dont l’enfant prend des cours de chant et n’ose pas lui-même le faire, prétextant qu'il est trop vieux pour apprendre, alors qu’il meurt d’envie d’essayer, etc.
Dans tous les cas, une "petite voix intérieure" nous dit qu'il y aurait bien quelque chose à tenter, mais parfois, par peur, nous préférons ne pas l'entendre.
"En fait, c'est super, j'ai bien fait d'oser !"
ALORS, MA PEUR... J’EN FAIS QUOI ?
La peur est souvent liée à l’inconnu. Mais avoir peur ne signifie pas que cet inconnu est forcément mauvais. La peur et l’excitation positive sont d’ailleurs des états physiologiquement très proches.
Nous avons la capacité de décider que cette peur que nous ressentons est juste une information, et que c'est à nous, et non à la peur, de décider ce qu'il convient de faire.
Donc… la prochaine fois que vous aurez peur, il y a 2 options : soit vous avez été repéré par un tigre affamé, et il serait judicieux de vous éloigner de la source de votre peur ; soit vous êtes à deux doigts de découvrir de nouvelles ressources en vous, et je vous conseille plutôt de remercier votre peur, et de courir vers sa source !
