Les retours sur scène, et leur rôle pour le chanteur

L'interview de François Prud'homme

 

 

 

Le groupe Gojira en concert au Hellfest en 2013 (credit photo : Tilly antoine / CC BY-SA).. On note :

- les enceintes dirigées vers le groupe (son du retour) à leurs pieds + sur les côtés à hauteur du logo

- les enceintes dirigées vers le public (son de façade) derrière les tentures transparentes


Avant un concert, deux éléments sont importants à préparer afin d'obtenir une bonne qualité du son :
- la mise en place du son de façade : celui qui sort sur les enceintes dirigées vers le public ;
- la mise en place du son des retours : celui qui sort sur scène pour que les musiciens s'entendent.



QUELS SONT LES TYPES DE RETOUR LES PLUS UTILISÉS ?

Le plus souvent, on peut trouver deux types de systèmes :

- une ou plusieurs enceintes orientées vers le musicien, qu'on appelle également bains-de-pieds ou wedges. Ces enceintes sont disposées par terre, devant les musiciens et/ou sur les côtés. Plus on est dans l'axe de l'enceinte, plus le son a une définition précise. L'enceinte doit donc être orientée vers les oreilles du musicien, elle est inclinée vers le haut si elle est au sol (cf image au dessus).

- un casque porté par le musicien ; cela peut être un casque traditionnel (qu'on voit parfois chez les batteurs) ou bien un système intra-auriculaire plus discret qu'on appelle aussi in-ear ou ear monitor. Les casques et ear monitors offrent la possibilité de s'équiper avec un émetteur / récepteur sans fil, le plus souvent porté à la ceinture, qui permet de se déplacer sur scène sans être gêné par un câble.

Dans les deux cas, chaque musicien choisit ce qui lui convient le mieux pour être à l'aise avec son retour : volume général, volume de chaque instrument dont le sien... Il arrive parfois, selon le matériel que l'on utilise, que l'on ne puisse avoir autant de retours personnalisés que de musiciens ; dans ce cas, on définit un ou deux types de retour en essayant d'équilibrer selon les besoins de tous.

Vous pourrez voir ici une image de Neil Rush, batteur du groupe de rock progressif Rush, avec un casque.
Vous pourrez voir ici une image de Jared Leto, chanteur du groupe Thirty seconds to Mars, avec des ear monitors.

 QUE SE PASSE-T-IL POUR LE CHANTEUR EN CAS DE MAUVAIS RETOURS ?

Le son des retours est essentiel pour le confort des musiciens, et encore plus quand il s'agit d'un chanteur : comme l'émission vocale est conditionnée par l'audition, un chanteur qui ne s'entend pas bien est un chanteur qui n'est pas à l'aise ; il risque donc  :
- de chanter faux,
- de ne pas être en rythme,
- de déséquilibrer son timbre,
- de forcer sur sa voix, et donc de fatiguer et de se faire mal, etc.

Pendant les stages que j'organise, nous parlons régulièrement des relations entre techniciens sons et chanteurs. L'objectif est que les élèves comprennent mieux le son et le matériel, et apprennent à dialoguer avec les techniciens sons. 

Pour aller plus loin, j'ai proposé à François Prud'Homme, qui exerce le délicat métier de technicien aux retours, une interview sur le sujet. 

 

INTERVIEW : FRANÇOIS PRUD'HOMME, TECHNICIEN SON AU STUDIO CARAT - LE MÉTIER DE TECHNICIEN RETOURS

 

 

Qui es-tu ?

Je m'appelle François Prud'homme, et je suis technicien son au studio Carat à Bègles. 

Quel est ton parcours et comment es-tu arrivé chez Carat ?

En fait je pensais d'abord travailler dans l'animation, j'ai passé plusieurs diplômes pour cela. J'ai donné des cours de ski et de kayak pour gagner ma vie, et j'ai encadré des camps dans divers pays.

A un moment, j'ai créé avec des amis une radio associative libre : Station Iguanadon devenue RIG. A l'origine, on émettait avec des potes (Radio Bordeaux Centre) sur un canal pirate sur les quais de Bordeaux, 2-3h par jour, puis en 1981 les émissions libres sont devenues légales et on a développé l'activité. Au début, 80% des courriers des auditeurs qu'on recevait venaient des détenus à la prison de Gradignan, car on était une radio alternative et subversive ! Ensuite le principe même de la radio s'est plus démocratisée, et le matériel est devenu plus performant ; les émetteurs et le relai avec TéléDiffusion de France ont permis à notre radio de couvrir le département.

On fabriquait notre matériel, et on a commencé à organiser des concerts pour la radio. On participait à des animations et des interviews à droite à gauche, et je suis rentré comme cela dans le milieu de la musique. La radio était associative et bénévole, et il me fallait un autre boulot ; j'ai rencontré les gens de chez Carat, et j'ai commencé à travailler pour eux ; au début cela consistait surtout à démonter les consoles du studio le soir pour aller en concert, et les recâbler pour les réutiliser le lendemain au studio ! J'ai arrêté mon activité à la radio vers 1990, mais je ne suis jamais parti de chez Carat. J'ai fait le magasinage et l'entretien du matériel au début. Mais il y avait aussi beaucoup de concerts à l'époque, entre 2 et 4 par semaine, alors j'ai commencé à me mettre derrière une console, et j'ai appris en regardant et en expérimentant !

Aujourd'hui tu es donc technicien son et ton activité sur les concerts est double : tu travailles soit en façade, soit en retours. Quelle est la différence ?

Le technicien façade fait un seul mix de son pour tout le public, qu'il y ait 10 ou 1000 personnes. Le technicien retour fait un mix par musicien... et par sensibilité. Il ne doit pas gêner non plus le travail de celui qui fait la façade.

Quelles activités préfères-tu dans ton métier ?

Je préfère travailler en retour qu'en façade. Ce qui m'intéresse, c'est vraiment de bosser pour le confort des musiciens, car si ça ne sonne pas sur scène, les musiciens ne seront pas dans leur élément, donc ça ne sonnera pas non plus devant la scène pour le public !

J'aime aussi participer à l'organisation ou à la gestion de gros projets évènementiels (ex : KO Social de Bègles, festival de Luxey, festival de Terres Neuves pendant 6 ou 7 ans, etc).

Quels sont les projets particuliers sur lesquels tu travailles en ce moment ?

Il y en a plusieurs, il y a le projet Vendredi ou les limbes du Pacifique : c'est un projet musical en partenariat avec France Culture, en préparation pour le présenter à un circuit de tourneurs. Le CD est déjà sorti et disponible à la vente, et on peut aussi écouter un podcast sur France Culture.

Il y a également en préparation le projet solo de Romain Humeau, le chanteur d'Eiffel, avec une tournée prévue en mars. Enfin, un festival du film d'architecture est aussi en préparation pour février 2016, avec des concerts.

 

Quels sont tes styles de musique et groupes préférés ?

J'écoute vraiment tous les styles, du classique à l'électro en passant par le rock, tout me plait. J'écoute plutôt un style pendant une période, puis je m'intéresse à un autre.

Fais-tu partie d'un groupe de musique ?

Non.

Intéressons-nous de plus près à ton travail de technicien sur les retours. Quelles sont les principales difficultés dans ce métier ?

Réussir en très peu de temps à appréhender ce que veut entendre le musicien de la restitution de son instrument, et quelle place ça va prendre dans le mix. C'est aussi pour beaucoup de la psychologie et de la diplomatie ! En fait c'est assez proche du domaine socio-culturel et de ce que je faisais avant dans l'animation.

Quand j'accueille un groupe sur scène, je fais en sorte que les micros soient déjà présents et préparés avec un volume cohérent. Le réflexe de tous les musiciens quand ils arrivent devant le micro est de le tester ; si c'est déjà bien clair avec un volume agréable, on a déjà gagné beaucoup de points sur le confort et le relationnel, avant même d'avoir travaillé ensemble sur la balance. C'est valable pour tout le monde, aussi bien le rappeur casquette à l'envers que la chanteuse diva !

Autre difficulté : les novices n'ont pas l'habitude du son et de la disposition sur scène, ils ne connaissent que le son de leur local de répétition, et ils perdent très vite tous leurs repères. Mon rôle est de les mettre à l'aise, on essaie de recréer avec les retours le contexte du lieu de leur répétition, et ce qui leur plait dans le son auquel ils sont habitués.

De manière générale, quand tu fais une balance, la salle est vide et les musiciens ne jouent pas exactement de la même manière que pendant le concert, donc il ne faut pas non plus se prendre trop la tête pour le son de façade. Quand les retours se font depuis la façade, je prends le relai avec le gars qui gère le son de façade, et j'insiste pour qu'il n'y touche pas ensuite. Ce qui compte est de trouver le son qui met le groupe à l'aise sur scène ; si la source du son est cohérente, le reste suivra.

 

As-tu déjà eu des problèmes avec le matériel quand ce n'est pas le tien ?

C'est arrivé parfois, effectivement quand c'est du matériel mis à disposition par les salles de concert ; on n'a pas toujours ce qu'on demande, parfois on n'a pas assez de matériel (ex : 4 retours au lieu de 10), ou pas de bonne qualité, du coup il faut faire avec ce qu'on a, et ménager les musiciens par rapport à cela.

 

Cite-nous 3 qualités utiles pour exercer le métier de technicien retour.

La patience, la diplomatie, et la capacité à faire la part des choses entre ce que les musiciens pensent nécessaire et ce qui le sera vraiment !

 

Comment se passent les rapports entre un technicien son et les musiciens selon ton expérience ?

Les rapports sont très rarement conflictuels entre les musiciens et moi.

 

C'est peut-être lié à ta personnalité ? Tu es visiblement quelqu'un de très posé.

C'est possible, oui ! De toute manière, la confiance se construit quasiment dès le moment où tu dis bonjour au musicien.

 

Comment fais-tu quand tu tombes sur un musicien désagréable ?

C'est rare, mais quand je tombe sur un vrai connard, je ne me laisse pas démonter parce que je connais mon métier ; par contre tu es quand même obligé de subir sa mauvaise humeur tout du long ! 

 

Quelle a été ta meilleure expérience en tant que technicien retour ?

Je me souviens d'un groupe espagnol à Barbey, ils étaient tous à la bourre et on avait fait un line check (définition en fin d'article*) rapide ; ils étaient tétanisés de trouille à l'idée que le son soit épouvantable pendant le concert. Ça met la pression à tout le monde, technicien retour compris, mais l'adrénaline fait aussi partie du jeu ! En fait, dès la première mesure tout s'est enclenché de manière impeccable dans le son, et c'est resté comme un de leurs meilleurs concerts.

Idem pour le groupe The Herbaliser, qui comprend 10 personnes sur scène. On a fait un line check directement avec les instruments par groupe et non pas individuellement comme pour une balance traditionnelle, et en plus devant le public. Au final, en un seul morceau la balance était faite, et les musiciens étaient heureux !

Dans le genre bonne surprise, j'ai aussi joué avec Boo-Yaa T.R.I.B.E., des rappeurs américains qui sortaient de prison... Ils avaient viré des techniciens avec lesquels ça s'était mal passé à des concerts précédents à Paris et Toulouse, un sondier s'était même fait éclater la tête... Dans ces circonstances tu es un peu tendu... J'avais pré-réglé les micros ouverts le mieux possible, du coup les mecs étaient stupéfaits, ils n'ont rien dit, et le reste s'est bien passé.

J'utilise souvent des ear monitors parce-que j'ai eu beaucoup de mauvaises surprises sur les retours et que la clarté du son est ultra plaisante, surtout pour mon groupe rock où nous jouons en stéréo, au clic, et avec des bandes sons. Il m'est arrivé une fois d'avoir un technicien son qui refuse d'adapter sa sono à ce type de matériel. As-tu l'habitude de travailler avec les musiciens en ear monitors ?

Oui, ça ne me pose aucun problème. Le chanteur de Fiction Plane (le fils de Sting) ou les musiciens d'Eiffel par exemple ont des ear monitors ; du moment que les musiciens savent aussi s'en servir de leur côté, il n'y a aucun souci. C'est un vrai confort pour le chanteur qui gagne en justesse s'il s'entend bien. C'est bien sûr nécessaire pour une production raisonnée en stéréo, avec des bandes sonores ajoutées aux morceaux, etc... Le fait de jouer en ears permet aussi de bien entendre tous les instruments et si on fait des erreurs, cela permet de se caler beaucoup mieux, et donc de rendre le son global beaucoup plus efficace. C'est aussi important si le volume naturel de la voix n'est pas très élevé par rapport aux autres instruments, par exemple cela a été nécessaire pour Etienne Daho. Par contre ça permet moins de sentir la spatialisation du son, puisque le son des ears est identique quelle que soit la position sur scène.

Ceci dit, dans certaines circonstances, on peut aussi avoir un très bon retour avec des wedges ; pour cela, il faut que le son soit très propre. C'est aussi plus facile quand tu suis des musiciens en tournée sur tous leurs concerts, tu as plus de latitude, plus de facilité sur les réglages, car tu connais tout très bien. C'est très différent du fait d'accueillir tous les jours des groupes différents dans une salle, avec des demandes très spécifiques et des adaptations en permanence.

Certains musiciens veulent entendre tous les instruments en détail, et d'autres se contentent de peu. Taylor Hawkins (batteur des Foo Fighters) par exemple, pour un concert, m'a dit n'avoir pas besoin de retour de sa batterie, car il savait ce qu'il jouait, et que son volume de jeu lui suffisait. Pour le Grand Orchestre, le gars connaissait la place de ses micros de captation par coeur, presque au centimètre. Quand un musicien sait ce qu'il veut, encore une fois, ça facilite le boulot. Bertignac est venu faire les retours avec moi une fois, car il connait bien le son et a apprécié de découvrir le matériel que j'utilisais.

 

Quelle a été ta pire expérience aux retours ?

Je n'ai pas vraiment de très mauvais souvenir en lien avec le matériel, mais plutôt dans l'aspect relationnel. Lors d'un concert de Popa Chubby, on se prépare à faire les balances ; ce n'est pas un tendre, et je sais qu'il avait bastonné le technicien retour à Toulouse la veille... Il teste son micro, il demande de plus en plus de volume, du coup ça commence à larsenner ; il me regarde méchamment, je coupe les fréquences qui larsennent, on avance sur le réglage, et à un moment il me dit "ne touche plus à rien !". Là, tu flippes pendant tout le concert en te demandant s'il sera satisfait jusqu'au bout. Heureusement à la fin il est venu me faire un pouce en l'air, et il s'est même souvenu de moi quand je l'ai retrouvé pour un autre concert... qui n'a pas été triste non plus d'ailleurs. Pendant les balances, son bassiste joue un truc bizarre du point de vue harmonique ; Popa lui reproche de jouer de la merde, le bassiste répond que c'est Popa qui a mal écrit la partition... Chubby a piqué une crise, il l'a traité de tout les noms, il a arrêté la balance aussi sec, et il est parti défoncer le mur des loges de Barbey. Bilan : on n'a jamais fini la balance. En plus, juste avant le concert, Popa vient me voir en me disant de bien mettre la basse dans son retour à lui pour entendre tout ce que le bassiste fera, et il n'a pas arrêté de mater le bassiste du coin de l'oeil pendant tout le concert... C'était vraiment tendu, mais heureusement tout s'est bien passé !

 

Quels conseils donnerais-tu à des chanteurs pour qu'ils soient capables de bien dialoguer avec les techniciens retour ?

Savoir ce qu'ils veulent. Il faut être conscient qu'ils peuvent tomber sur des techniciens bornés qui refusent le dialogue, donc il faut savoir ce qu'on veut très clairement : du point de vue auditif et physique, en terme de fréquences, etc. Pour un chanteur il faut donc aussi bien connaître sa voix pour savoir comment ça doit sonner de manière générale. Il faut également être diplomate et ouvert pour dialoguer avec le personnel aux manettes.

 

Donc le fait que j'organise des stages (ou des interviews !) pour découvrir la scène, comment gérer un micro ou un retour, comprendre le rôle des techniciens son et comment dialoguer avec eux, cela te parait utile ?

C'est indispensable ! C'est comme les résidences, par exemple celles mises en place par Barbey ou le Krakatoa ; pour apprendre, c'est vraiment nécessaire.

 

Merci, François, d'avoir répondu à ces questions !

 

Line check* : en cas d'urgence, lorsqu'il n'y a pas le temps de faire une "balance" traditionnelle avant le concert, c'est à dire un équilibrage du son du groupe instrument par instrument, on procède à un line check ; cela signifie que l'on prend juste le temps de vérifier qu'il y a du son pour chaque instrument, et que les réglages d'équilibrage du son sont effectués directement pendant les premiers morceaux du concert.


 

Les retours sur scène, et leur rôle pour le chanteur
Diane Douet 30 novembre 2015
Partager cet article
Archiver
Concilier chant et handicap physique
Interview d'Angélique Boniface